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Le quart net de ma moitié
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  • Isoler des mots, les transcrire, découvrir le sens au fur et à mesure de l'écriture, c'est un peu quitter le bateau avant qu'il ne prenne l'eau, c'est jouer avec des bouts de phrases. Libre propos au quotidien, parfois pertinent et souvent impertinent .
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Le quart net de ma moitié
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5 juin 2013

La mécanique du fou

La salle de concert résonnait des claquements de la rythmique appuyée du batteur et la basse de Hook émettait ce son si caractéristique qui allait marquer et influencer bien des musiciens pendant les décennies suivantes et jusqu'à aujourd'hui. Isidore était venu découvrir le groupe sur la scène du Plan K par l'intermédiaire d'un pote, Alfred, qui était un authentique passionné et qui ne ratait rien de ce qui sortait sur le label Factory ainsi que sur un autre label mythique de cette époque 4 AD. Un jeune groupe belge appelé Digital Dance assurait la première partie.

Le guitariste du groupe bruxellois, Jerry était un ami du Domme, qui était dans la même école secondaire qu'Isidore. Ils avaient un projet de faire de la musique ensemble. Ce projet n'allait jamais voir le jour mais lorsque, deux ans plus tard, Isidore et le Domme eurent formé leur propre groupe, Jerry se chargea du mixage et de la production au studio 205 à Schaerbeek.

Le jeu du guitariste était sobre, peu assuré, presque maladroit, et le son de sa guitare ressortait de l'ensemble par touches assérées quelque peu grossières, semblant noyées par une sonorisation approximative. Il ne retrouvait pas cette ligne claire des quelques morceaux qu'il connaissait et qui résonnait dans sa tête davantage que le concert. Peut-être était-ce dû au joint qu'il avait fumé à l'entrée du Plan K avec cette jeune fille à laquelle il avait adressé la parole en patientant avant l'ouverture des portes. Car, il s'était présenté très tôt, n'ayant pas acheté sa place en prévente et ne voulant rater ce concert pour rien au monde.

"Dance....dance....dance to the radio !" clamait Ian Curtis en gesticulant de ce déhanchement syncopé, cette mécanique du fou, cet automate aux yeux révulsés. Beaucoup de rumeurs circulaient à propos de celui-ci et il était déjà un mythe avant sa disparition quelques mois plus tard. Leurs accoutrements sobres, austères donnaient l'impression qu'ils fournissaient un travail sérieux, un labeur industriel davantage qu'une performance artistique en tant que tel. Quelque part, la pénible condition du prolétariat mancunien s'exprimait par leur intermédiaire mais ils avaient choisi de le faire par la musique.

La voix spectral de Ian Curtis, sa tessiture sonore grave et solennelle surprenait, semblant venir de la nuit des temps, d'une personne d'un âge certain, pleine de maturité et riche d'expériences, et exprimait une sagesse faite de résignation et de conscience visionnaire. Cette impression touchait l'assistance entière, d'autant plus que l'individu était très jeune, et avait un visage d'ange, un visage d'ange épuisé par des démons intérieurs qu'il ne parvenait pas à vaincre et exorciser.

Isidore recherchait Alfred dans l'assistance mais ne le trouva pas. Il s'écarta de la scène et se dirigea vers l'arrière.  C'est alors qu'il le vit. Il était appuyé contre une des colonnes de la salle et conversait avec Annik. Il n'osa s'approcher. Il connaissait Annik de vue mais était toujours intimidé en sa présence. Il se dirigea alors au toilette. Une forte odeur de cigarettes s'en dégageait. C'était encore une époque, où l'on pouvait fumer dans les salles de concert. Il se sentait pris de nausée. Ce joint l'avait rendu malade. Il avait la tête qui tournait à grande vitesse et cru perdre l'équilibre. Il vit un premier type occupé à se faire un fixe d'héroïne. Puis il vit sa copine Chothilde occupée à se faire pelotée par un grand punk avec un iroquois. Il trouva un urinoir de libre, et remis tout ce qu'il avait dans l'estomac. Il resta la tête penchée vers l'urinoir un long moment, puis fit un dernier cracha et retourna dans la salle.

Le concert semblait déjà toucher à sa fin. Le groupe jouait une reprise de Velvet Underground, Sister Ray, ce qui n'avait rien de surprenant dès l'instant où il était manifeste que le groupe de Lou Reed était une de leur influence majeure.  "Procession moves on, the shouting is over"  déclamait Ian les yeux fermés, vivant plus qu'imaginant ses paroles alors que les notes de The Eternal, allait clôturer leur prestation. Les notes limpides s'inscrivaient et se répétaient avec une lenteur obsédante; telle une ritournelle désolée et désespérante. Alfred et Isidore étaient hypnotisés. Une mélodie simple et pure, des notes à la beauté maléfique qui les imprègneraient encore aujourd'hui.

Alfred et  Isidore remontaient la rue de Manchester dans un silence spectral, un recueillement, telle une procession vers un devenir indéfinissable. L'avenir était devant eux mais quelque part ils avaient le sentiment qu'une partie de leur âme resterait pour toujours derrière eux, dans cette musique tout à la fois sombre, macabre et transcendante.

 

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