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Le quart net de ma moitié
Le quart net de ma moitié
  • Isoler des mots, les transcrire, découvrir le sens au fur et à mesure de l'écriture, c'est un peu quitter le bateau avant qu'il ne prenne l'eau, c'est jouer avec des bouts de phrases. Libre propos au quotidien, parfois pertinent et souvent impertinent .
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Le quart net de ma moitié
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12 avril 2015

Terreur marine

Nous avions fait une halte à l’Abbaye de Montmajour, sise à mi-chemin entre Tarascon et Arles, au cœur de la Provence mystérieuse, évocatrice d’un Moyen-Age de pierres et d’ogives, de hauts-murs et de tours ; là où l’esprit vagabonde d’un passé glorieux et sanguinaire à une légende ténébreuse et solennelle.

 

La saison estivale battait son plein, juillet était ensoleillé et le mistral balayait l’espace d’un souffle revigorant ; l’été de la Photographie s’étant délocalisé de Arles vers la périphérie, de sorte que c’est avec étonnement que l’on vit débarqué quelques autocars de visiteurs pour découvrir l’exposition d’un photographe parisien dont j’ai plaisir à avoir oublié le nom.

 

Il présentait, à une mondanité anachronique, - le lieu m’apparaissait bafoué dans sa vocation spirituelle- des œuvres gigantesques sur papiers marouflés où figuraient des personnalités connues pour lesquelles il semblait désolant d’encore consacrer tant d’attentions.

 

J’avais identifié le gros Gérard « deux paires d’yeux », qui scrutait l’objectif d’un air débonnaire et auto-satisfait, puis je me hâté de sortir pour apprécier la quiétude immémoriale du cimetière adjacent dont les fosses avaient été creusées à-même la roche; laissant des cavités de dimensions humaines formant un curieux gruyère de pierres grises autour de l’enceinte dévouée à la grâce du Seigneur. La vue qui s’étirait depuis la butte de l’Abbaye jusqu’à des kilomètres, ne semblait guère avoir changé depuis l’époque féodale qui avait vu naître cette bâtisse romane grandiose.

 

Le paysage sentait l’air marin, une brise caractéristique qui nous arrivait depuis la Camargue toute proche, et dont on ressentait comme un appel impérieux :celui de rejoindre cette plaine marécageuse et immuable, parcourue de chevaux et de flamands roses, de taureaux noirs et de pélicans.

 

Alors que le rivage s’étalait à l’horizon d’une plaine impressionnante par son immensité, nous avions beau parcourir des kilomètres à vives allures, la route semblait jouer de notre impatience en virages incessants contournant des marais où des nénuphars en fleurs nous narguaient de leurs éclats miroitant les rayons du soleil de midi.

 

Et puis voilà que la mer se découvrit soudain au détour d’un énième contournement.Enfin, la mer, plutôt son souffle ébouriffant, emportant sables et dépôts marins jusqu’à nous forcer à nous maintenir dissimuler quelques instants derrière un cabanon isolé qui faisait face à la plage. La surprise était de taille car le rivage était dépourvu de la moindre présence humaine en dehors de nous. Courageux visiteurs, nous étions bien décidés à braver ses courants pour s’y immerger quelques instants, résister à ses assauts inexorables, à ces ressacs,à cette langue baveuse et vertigineuse, cette salope à la beauté bleue turquoise et grise laiteuse.

 

La plage balayée semblait avoir évacué toute trace d’un tourisme de masse précédent à notre présence. Était-ce dû la météo, soudainement peu propice, était-ce en raison d’un microclimat inopinément ingrat, quelle était la raison qui avait découragé ainsi d’autres visiteurs ? Nous étions seuls à des kilomètres àla ronde, à affronter les éléments déchainés. Il apparaissait de plus en plus illusoire de pouvoir se baigner ; à moins, d’être un sot bravache et stupide, prêt à plonger dans les vagues à la hauteur monstrueuse, lesquelles s’écrasaient en un vrombissement qui me glaçait.

 

 Les pieds figés dans le sable, j’épiais le large en scrutant après un improbable rafiot secoué par les flots. Rien, la surface de la mer était tout aussi désertée que la plage sur laquelle nous essayions de conserver vaille que vaille l’équilibre;  s’accrochant au sol avec les orteils courbés vers l’intérieur. Il nous semblait inutile de prolonger cette situation au-delà, sous peine d’une métamorphose incessante en statues de sables voire d’un emportement vers les ténèbres célestes de plus en plus menaçantes.

 

Nous regagnâmes la voiture et démarrèrent prestement. A peine installé au volant, je fus pris d’une peur panique aussi inexplicable qu’implacable. J’ai eu soudain l’impression écrasante que la mer se soulevait en quelques instants, comme si elle avait décidé de réagir à notre départ précipité. Je crus voir ou plutôt je vis la mer se dresser en un vaste mur d’eau ; énorme vague de plusieurs dizaines de mètres, laquelle couvrait toute la longueur de la côte et dont nous tentions de nous éloigner désormais, au maximum de la vitesse que le moteur de notre véhicule permettait. Je pressais sur le champignon tel un pilote tenta

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nt de réaliser le meilleur temps ; mais essayais de conserver un soupçon de maîtrise de mes nerfs, afin de ne pas communiquer cette panique qui m’étreignait au reste de l'habitacle.

 

Je coupais chaque virage à la corde tout en gardant un œil sur le rétroviseur,scrutant la côte qui n’avait pas fini d’achever sa transformation. La vision était nette et sans bavure. Nous allions être engloutis par une mer qui nous rattrapait à vue d’œil malgré mes efforts obstinés de nous en éloigner. J’avais l’impression d’étouffer comme si l’eau avait déjà envahi l’intérieur du véhicule jusqu’au plafond. Je poursuivais cette course désespérée dans l’espoir illusoire d’échapper à ce destin funeste qui nous rattrapait : un océan dévastateur qui ne laisse place qu’à la désolation et à la mort.

 

Soudain au détour d’un virage, l’horizon marin et funeste avait disparu. Nous avions traversé et contourné la Camargue pour rejoindre la départementale qui rejoignait la périphérie de Arles. La mer n’était plus visible et mes visions cauchemardesques s’étaient aussitôt évaporées. L’imagination qui m’avait submergé avait laissé des traces de…sueurs ainsi qu’une respiration courte et haletante mais mon esprit semblait retrouver le sens des réalités…

 

L’Abbaye de Montmajour se détachait à l’horizon ; sauvés, nous étions sauvés….

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Commentaires
S
Un récit troublant et émouvant!
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