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Le quart net de ma moitié
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  • Isoler des mots, les transcrire, découvrir le sens au fur et à mesure de l'écriture, c'est un peu quitter le bateau avant qu'il ne prenne l'eau, c'est jouer avec des bouts de phrases. Libre propos au quotidien, parfois pertinent et souvent impertinent .
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Le quart net de ma moitié
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23 octobre 2013

Le masque et le sillon

Si l'on avait demandé à Isidore comment il occupait ses journées, il aurait été juste capable de dire qu'il se laissait vivre. La plupart du temps, il se sentait aspiré par un abandon progressif de toute forme de contrainte. Il était libre en somme; sauf qu'il prenait des neuroleptiques et des calmants, pour réguler sa dépression et ses idées morbides. Il se sentait flotté dans un univers ouateux et doucereux où il avait trouvé un confort pour supporter un mal de vivre qui s'était amplifié jusqu'à son hospitalisation.


Rentré de la clinique, chez sa mère pour le week-end, il était comme un soldat qui avait déserté ou qui était en permission. Plus de combat pour vivre, au moins, pendant deux jours se disait-il. Plus de comédie ni de jeux de rôles, en l'occurence depuis deux mois, celui de patient atteint d'une maladie mentale.

Une image lui revenait de façon régulière alors que ses ruminations s'étaient tues sous l'effet assommant des médicaments. Il était assis sur un banc à la gare de Boitfort et il se revoyait - revivait - une double contrainte, fruit de la dualité d'esprit qui le tiraillait.

Une propension à courir se jeter sous les rails à l'approche du train et une force de résistance, en contrepoint, l'instinct de (sur)vie qui le faisait enserrer ses doigts des deux mains, contre le banc et qui le retenait vaille que vaille. Le train arrivait, freinait dans un crissement suraigu épouvantable, puis s'immobilisait. Pour Isidore, ce n'était pas encore la fin. Il montait dans le train.

Les heures passaient dans sa chambre, elles étaient doucereuses et ses envies demeuraient absentes. Il se sentait apathique et asocial. Il n'avait envie de rien. Le simple fait d'envisager de voir quelqu'un lui pesait déjà. Il occupait ses journées en observant le sillon du disque tourner encore et encore, et c'était comme une fascination qui l'absorbait tout entier. Les seuls déplacements se limitaient à changer de disques et à manger petitement ce que sa mère préparait. Il n'avait goût à rien ou plutôt il avait le dégoût de tout.

Benjamin lui avait téléphoné ce matin. Lui et les autres membres du groupe se demandait s'il allait venir répéter aujourd'hui  car une série de concerts se profilaient et tous, s'inquiétaient de savoir s'il était capable de tenir....son rôle !

Il avait bien dû admettre que ce rôle était au-dessus de ses forces et qu'en dehors d'observer sa platine, ses disques, et écrire quelques textes, il se débinait pour tout le reste. Il ne chanterait plus. En tout cas, il n'avait plus le coeur pour ça. Il était écoeuré.

Il ne pouvait pas oublier non plus sa dernière "sortie" le week-end précédent. Il s'était risqué en ville et avait pris le train et le métro, pour se rendre à Métrophone; pour acheter le nouvel album de Bauhaus. Il s'était un peu, sans doute était-ce déjà de trop, aventuré jusqu'à la rue Neuve et la Galerie Agora.

Il avait soudain été pris de convulsion au niveau de la nuque et sa tête, s'inclinait vers l'arrière, alors que ses yeux qui ne répondaient plus, étaient révulsés de manière telle qu'il lui était impossible d'avancer et de regarder devant lui. C'est ainsi qu'après des efforts désespérés de redresser sa nuque, il s'était vu contraint de demander de l'aide à plusieurs reprises jusqu'à ce qu'une bonne âme, une femme d'un certain âge, catastrophée autant que lui, par sa situation, lui prenne le bras et l'accompagne jusqu'à la gare centrale. Elle le tenait par le bras et ils avaient avancé ainsi, lentement. Le trajet jusquà la gare, qu'il avait accueilli avec délivrance, lui était apparu, interminable.

Il avait vécu ce que devait supporter un malvoyant.  Sa vie s'était obscurcie car il n'avait plus de claire conscience. Les effets secondaires du neuroleptique avaient matérialisé de façon emblématique, une métaphore concrète de ce qu'était devenue son existence.

Hair of the dog introduisait l'album de Bauhaus. Et la stridence de cette mélodie puissante lacérait son esprit comme si elle essayait de le réveiller de sa torpeur maladive. N'y avait-il pas un message caché qui lui était destiné personnellement ou tout au moins qui lui aurait été adressé indirectement par l'effet du sillon, de l'aiguille et de son contact analogique.

Le rituel du retournement du disque devait être à sa enième édition, quand le parlophone sonna. Il entendit sa mère qui claironnait:" Natalia est là pour prendre de tes nouvelles. Elle arrive". Il s'extirpa péniblement de sa chambre pour aller l'accueillir. Elle était tout sourire et pétillante de vie. Il l'accueilli froidement. Elle avait un cadeau pour lui qu'elle lui tendit. Il la fit entrer et alors qu'elle allait dire bonjour à sa mère. il avait déjà ouvert l'emballage. C'était le dernier album de Modern English. Il  retira le disque de sa pochette.Le sillon était brillant et ...c'était comme s'il le happait, l'appelait. Il était envoûté par ce disque avant même que de l'avoir écouté. "Live in the gladhouse"....

 

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