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Le quart net de ma moitié
Le quart net de ma moitié
  • Isoler des mots, les transcrire, découvrir le sens au fur et à mesure de l'écriture, c'est un peu quitter le bateau avant qu'il ne prenne l'eau, c'est jouer avec des bouts de phrases. Libre propos au quotidien, parfois pertinent et souvent impertinent .
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Le quart net de ma moitié
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5 septembre 2013

Un asile comme refuge

Le couloir de l'hôpital s'était transformé en caisse de résonances du moindre bruit et la lumière blafarde des néons ajoutait à cette atmosphère sombre et glauque une impression prégnante d'abandon total et d'oubli. Les patients de l'aile psychiatrique s'en étaient tous retournés dans leur chambre.

 

Poursuivant leur déshérence, assommés par les neuroleptiques, leur nuit commençait déjà après le souper de dix-neuf heures et la distribution rituelle des pilules par l'infirmière de nuit et son acolyte, infirmier costaud, près à maîtriser une crise éventuelle, une rébellion, une plainte trop affirmée.

 

Comment en était-il arrivé là ? Alfred se souvenait avoir perdu le contrôle de son esprit lors d'un concert de Killing Joke à l'Ancienne Belgique. Il s'y était rendu comme à chaque fois, avec Nathalia, sa copine de l'époque. Ils avaient, une fois de plus,  pris du LSD, une paire d'heures avant l'évènement, histoire d'être bien allumé lorsque le concert débutait.

 

Il était demeuré lucide pendant la prestation de de Brassers, le groupe punk flamand dépressif de Hamont, qui ouvrait le set. Et puis, alors qu'il y avait eu l'entracte, il avait ressenti comme un voile blanc lui couvrir le visage, lui occulter la vue, lui retirer en une fois ce qui le constituait en tant qu'individu autonome et lucide. Il avait ressenti une nette sensation de désincarnation de son esprit et de toutes ses potentialités.

 

Alors qu'il avait les yeux ouverts, c'était comme s'il était sorti de son enveloppe charnelle et s'observait narquois, en train de communiquer par bribes avec Nathalia ainsi qu'avec quelques amis retrouvés au bar.

Du balcon supérieur, son esprit l'épiait, fixait son visage apeuré, avec ses cheveux encore humides et dressés au savon, habité par l'angoisse prégnante et - il ne le savait pas encore- durablement installée.

 

Il avait amené dans ses bagages, sa chaîne stéréo (deux enceintes, un double lecteur cassettes audio et une platine) pour diffuser de la musique. Il avait demandé la permission au psychiatre en chef, qui n'avait pas mis son véto, estimant sans doute, que la musique ambiante ne pouvait qu'aider les patients dans leur chemin tortueux vers un hypothétique mieux-être mental.

 

Il avait besoin de musique. Mais, il était seul en apparence à en exprimer la nécessité.

 

Il avait fait le tour des chambres pour se signaler auprès des patients et les prévenir de son initiative. Espérait-il réellement une "fiesta" déjantée dans le large couloir de la section psychiatrique de la clinique Saint-Pierre d'Ottignies ? Au vu de la moyenne d'âge des malades, cela lui avait semblé, d'emblée, inconcevable. Mais, il pensait d'une certaine façon, parvenir à briser la glace avec certaines personnes, faire partager ses goûts musicaux, ....échanger quelques mots.

 

"Nowhere Girl ....you're leaving on a dream" résonnait dans toute l'aile. B Movie était un de ces groupes qu'il écoutait quotidiennement pour rester en vie. Il avait besoin de bouger, et il parcourait le couloir dans un sens puis dans l'autre tout en changeant de disques. Personne ne daignait sortie de son antre. Personne ne semblait concerné par ce qu'il vivait dans sa chair, sa tête, sa désespérance. Personne ne pensait ni ne pouvait soupçonner ce qui le rongeait; lui, le petit bourgeois oisif, vaguement poète, rebelle et déprimé.   

 

Il essaya d'attirer encore quelques personnes avec quelques autres vinyles en 45 tours . Parmi ceux-ci Spizz Energy et Fad Gadget, qui  occupaient une place de prédilection dans sa discothèque.

 

"Soldier Soldier" éclatait presque ses tympans tant il avait poussé le volume; par dépit et exhaltation. Mais pas une âme en vue, fût-ce pour lui demander de diminuer le son ! C'était comme si, tant les patients que le personnel de cet asile avaient décidé de se faire la malle et de le laisser, seul dans sa rêverie mélomane romantique.

 

Il s'était mis à danser tout seul, dans le couloir, par bons successifs, dans un pogo à la fois désemparé et déterminé; habité par une énergie saccadée et convulsive. Il se sentait planer - il avait bu de l'alcool sur sa dose de neuroleptiques - , presque voler, dans ce couloir vide et blafard. "Ricky's hand"  annonait Frank Tovey, de sa voix nasillarde et sarcastique.....tel  un oiseau de mauvaise augure.

 

"Ricky's hand..................Ricky's hand................ah ah ah ! "

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